• Le petit train de Miliana

     

     

     

    Abdelkader Hadj-Hamou, né en 1891 à Miliana, fils du juge honoraire de la ville.Professeur d'arabe, titulaire de la chaire de la Grande Mosquée pendant près de 20 ans, mouderrès a Saint Eugène. Diplômé d'interprétariat judiciaire (tribunaux de 1ère classe). Mort en 1953

    Le petit train de Miliana

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    Les deux compagnons montèrent dans la jardinière du tramway à vapeur, attendant le départ qui tardait à cause des bagages. Ce petit train ne comprenait guère plus de trois wagons de voyageurs, un de marchandises et une locomotive sans tender ; lui aussi avait sa petite gare, une petite salle garnie d'une grande table, de deux chaises et d'un appareil téléphonique ; c'était là qu'on échangeait son bulletin de bagages ; comme chef de gare, le receveur du tramway suffisait ; celui-ci portait une chéchia et n'était payé qu'un peu plus de cent francs par mois.

    - En voiture, cria-t-il enfin.

    Après quoi il fit résonner son sifflet et le mécanicien, un Arabe, par économie, le visage noir de charbon alluma une cigarette, fit démarrer le tramway et lança un flot de fumée sur les voyageurs. Le tramway sifflait, grinçait sur les rails, tournait, sous la pluie fine fournie par la vapeur qui s'échappait de la puissante mais petite locomotive. Le train s'arrêta, c'étaient les Righa : deux Arabes descendirent puis une femme de colon.

    Dépêchez-vous ordonna le receveur, en même temps chef de train et de la station. Le train repartit à une allure de vingt kilomètres à l'heure... Quelques minutes après, le tramway s'arrête de nouveau ; c'était l'Oued Azif, un croisement : on devait trouver là un train de minerai avec ses grands wagons à forme de profondes cuvettes .Là c'était des vignobles et là commençaient les immenses et beaux jardins de Miliana.

    Le voilà, là-bas, le train de minerai s'écrièrent avec joie deux demoiselles,
    élèves de l'Ecole Normale de Miliana.

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    Aucune algérienne dans les premières promos.Ici Promo 1909/1911 avec les coiffures d'alors

     

    L’École Normale du département d’Alger avait été construite à Miliana, choisi pour son site et son climat. Vers la fin du XIX° siècle, à sa construction, les bâtiments correspondaient alors au mieux aux critères d’hygiène, de confort, de bonne marche, des études et d’agrément
     Par exemple, aux deux grands dortoirs insuffisamment chauffés l’hiver, mal commodes, nous aurions préféré des chambres individuelles où chacune aurait pu ranger ses affaires et travailler à son rythme, alors qu’on se gênait dans les études communes. Les installations sanitaires dataient. Au 2ème étage, les lavabos. En face, de petites logettes où il fallait porter sa cuvette pour compléter sa toilette. Penderies et armoires d’un autre côté, et une petite pièce pour les casiers à chaussures.
         Il fallait descendre au sous-sol pour le bain –ou la douche- hebdomadaire. C’est là que de solides laveuses espagnoles lavaient nos draps dans de grands bassins et où nous pouvions aussi laver notre lingerie.
         L’économe, Melle D., plus âgée que la directrice et forte de ses prérogatives (il fallait tourner le matelas tous les jours, donc ne pas « baptiser » son lit. Le matin les élèves, par équipes, balayaient les escaliers, les galeries. C’était « les charges ». L’économe choisissait souvent le moment des repas, où les trois promotions étaient rassemblées, pour brandir des lingeries qui traînaient. « A qui appartient ceci ? et ceci ? ». Trotte-menu, on la trouvait partout. Je n’arrivais pas à croiser son regard, qu’elle avait bigle, mais qui était infaillible pour repérer ce qui pouvait être critiqué dans la mise, la coiffure ou la façon de répliquer…

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    Le train parut en effet, dans un tournant ; la locomotive, Jeanne, traînait six grands wagons en fer, en forme de longs entonnoirs, remplis de minerai ; chaque wagon était monté par un serre-frein dont les mains, le visage et les vêtements étaient tout rouges ; quelques-uns portaient une corne jaune, c'étaient tous des indigènes ; le métier est périlleux.

    Le tramway s'arrêta une troisième fois ; c'était le Petit Drapeau ; une buvette au milieu des Jardins et vignobles portait ce joli nom. Le paysage avait complètement changé. Ce n'était plus que vergers, maisons de campagne, villas, fleurs et ombrages sur les deux côtés de la route, remplaçant les bois, les broussailles, les forêts, les champs de blé ou les vignobles qu'on voyait jusque là.

    C'étaient les ravins se succédant, remplis d'arbres, d'arbustes, de fleurs forestières, de gazouillis ; ce n'étaient plus ensuite que des ravins cultivés, couverts d'arbres fruitiers, de jasmins, de fleurs diverses, de sources, de ruisseaux ; le chant des oiseaux, le murmure des eaux, l'air frais et parfumé étaient admirables. Il faisait pourtant une chaleur infernale là-bas, à la gare de Miliana-Marguerite.

    Le départ du petit train de Miliana
    Le train de voyageurs n'était pas encore parti quand Meliani sortit de la ville ; il avait déjà deux minutes de retard à cause des bagages et les employés n'étant pas toujours pressés, sachant qu'on arrivait toujours en avance.

    Un train ?...un tramway à vapeur, plutôt !

    Ses trois wagons, dont deux jardinières étaient remplis d'arabes, surtout d'européens et d'Israélites éparpillés ça et là ; tout ce monde remuait, descendait, remontait, redescendait, appelait un fils, un époux, un ami pour les dernières recommandations, les dernières confidences. Quelques retardataires arrivèrent en courant, tout essoufflés un panier ou une valise à la main, un sac ou une caisse sur l'épaule.

    En voiture, s'il vous plaît !

    Le receveur en fil blanc, coiffé d'un képi portant les lettres : T. M. (Tramway-Miliana) se décida à siffler, l'écho se fit entendre de la machine Château Romain qui démarra non chef de gare, un homme d'une trentaine d'années, à la barbe noire, vêtu d'un costume simple sans une forte secousse qui fit rire et jurer. Un pauvre Kabyle arriva haletant, suant à grosses gouttes, un gros ballot sur le dos ; il réussit néanmoins à rattraper le train et à y monter. Un gros Israélite qui parlait du nez et un indigène vêtu à l'européenne et sans instruction, ainsi qu'un européen à lorgnon mais sans esprit rirent avec éclats du pauvre Kabyle ; à ce moment deux amis : Paul et Kaddour, révoltés de cette basse moquerie envers un homme inoffensif, rentrèrent en ville. Le Jardin Magenta, si beau et si grand près duquel stoppait le train était encore désert.

    Sur la large, blanche et belle route qui mène aux Mines, la route d'Alger, Meliani salua tous ceux qu'il connaissait : les uns rentraient en ville pour y faire leurs emplettes ou travailler, d'autres en sortaient pour aller soit aux Mines soit dans les jardins qui entourent Miliana par centaines ; les ouvriers horticoles étaient employés à la journée à la cueillette des fruits.

    D'après le Roman : « ZOHRA, LA FEMME DU MINEUR » de Hadj Hamou Abdelkader - (1925).

     


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