• La révolte de Margueritte

     

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    1) Yacoub Med Ben-El-Hadj Ahmed (dit le Sultan) - 2) Tâalbi EL-Hadj Ben-Aïcha - 3) Bourkiza M'Ahmed Ben-Sadock - 4) Tâalbi Miloud Ben-Aïcha - 5) Abdellah El-Irtsi M'Ahmed - 6) M'Hamed Atman Ben-Abdelkader.

    En 1901, l’Algérie est colonisée depuis plus de 70 ans. L’œuvre « civilisatrice » de la France s’est illustrée par la destruction totale des structures économiques et sociales du pays. Les Zaouïas chargées de l’éducation sont ruinées et n’assurent plus aucun enseignement. L’introduction du droit foncier français et l’adoption du Code de l’indigénat ont fait des Algériens des parias sur leur propre terre. Après la résistance d’Abdelkader, celle de Fatma N’Soumer, de Bouamama, viendra l’insurrection d’El Mokrani de 1871, suivie d’une répression féroce et du séquestre des terres, qui ont fini par faire paraitre aux yeux des occupants, que l’Algérie était définitivement « pacifiée ».
    C’est dans ce contexte de fausse quiétude pour les colons, qu’un petit village du nom de Margueritte (aujourd’hui Ain-Torki) près de Miliana va être le théâtre, le 26 Avril 1901, d’une insurrection assez singulière, venant démentir la « pacification » supposée et annonçant d’autres Mouvements de contestation contre l’ordre colonial, Mouvements (Aurès, Sétif) qui aboutiront plus tard à l’Appel du 1er Novembre 1954.

    Dès le début de l’année 1901, l’administration coloniale signale un regain de ferveur religieuse parmi les « indigènes musulmans » du douar d’Adélia près de Margueritte. Deux acteurs s’agitent en particulier et mèneront plus tard l’insurrection. Il s’agit de Yacoub Mohamed ben El Hadj Ahmed, journalier, seul lettré en arabe de tout le groupe, qui se présente tous les jours dans les cafés du village pour interdire aux Musulmans de boire du vin, de fumer et de jouer.
     Le deuxième, Taalbi el Hadj, quant à lui, réunit quotidiennement ses compatriotes sur la Place du marché pour y faire publiquement la prière du soir. Le 22 Avril, une réunion se tient au marabout de Sidi Bouzar, le 24, une autre a lieu à Sidi M’hamed Benyahia, et rendez-vous est pris pour le 25, chez Taalbi, pour préparer le pèlerinage à Besnès (confrérie des Taîbya).
     Ce même jour, le Caïd du douar d’Adélia télégraphie à l’administrateur de la commune mixte de Hammam Righa, et l’informe : « Six indigènes, possédant chevaux veulent rejoindre Bou-Amama. Prière envoyer deux cavaliers Tizi-Ouchir. Serai là ». Le 26 au matin, le caïd se rend à la mechta de Taalbi pour y attendre les cavaliers, il est pris en chasse par les pèlerins et se réfugie dans la maison forestière, où il est assiégé.
     Un garde champêtre de passage, tente alors de sortir, le fusil à la main, il est immédiatement entraîné dans la cour par les insurgés qui le somment de prononcer la Chahada, qu’il refuse. Il sera tué d’une balle. La maison forestière est fouillée, le caïd est pris, mais arrivera à s’échapper. Le camion d’un hôtelier, qui passe, est arrêté et ses deux occupants faits prisonniers après avoir été sommés de prononcer la chahada. Quand l’administrateur-adjoint de Hammam Righa arrive, il est désarçonné, décoiffé, déshabillé et revêtu d’un burnous. Des conducteurs de chariots de sable subissent le même traitement et les chevaux sont pris comme montures. Le groupe se met alors en marche vers Margueritte, avec à sa tête Yacoub, désigné « Sultan ». Sur le chemin, des ouvriers travaillant dans les champs le rejoignent. Le colon Gariot rencontré dans son champ, sera le premier à avoir la gorge tranchée pour avoir refusé de prononcer la chahada.
    Avant l’entrée du village, le gros colon Jenoudet possédant une propriété de 1200 ha accepte de prononcer la chahada et de prendre le burnous, il est invité à se joindre au cortège et reçoit son nom arabe. Son chef de culture, Gay, et son cuisinier Rollin, refusent la chahada, ils sont égorgés mais Rollin survivra. Au village, les maisons, boutiques et cafés sont mis à sac, le butin est constitué essentiellement d’espadrilles, d’outils pouvant servir d’armes ou de munitions, et d’argent. Tout au long de cette journée, Yacoub avait ordonné de ménager les femmes et les enfants, ce qui sera respecté sans faille.
    Les Européens rencontrés sont appelés à se faire musulmans : deux d’entre eux refusent, Gildo et Fernandez, ils seront tués. Vers 15 heures, quatre cavaliers venus de Miliana font leur apparition, à leur tête Bazinet, chef de bataillon, et Dupuch, lieutenant de gendarmerie. Ils sont faits prisonniers. Les insurgés poursuivent leur marche, investissent la seconde ferme de Jenoudet, font prisonniers les habitants, les frères Dudex, et s’engagent avec leurs captifs sur la route de Miliana.
      Au col de Lef-Raz, ils se retrouvent face à une brigade de gendarmerie et une compagnie de tirailleurs, qui ouvrent un feu nourri contre eux, les insurgés refluent alors vers le village et Tizi-Ouchir, puis se dispersent dans les broussailles. Le soulèvement aura duré à peine huit heures dans le temps, mais, à l’échelle de l’histoire, il comptera beaucoup plus. L’habituelle répression coloniale se met en marche : exécutions sommaires, incendies des gourbis, vols, viols des femmes et des filles, arrestations de 400 « suspects » et séquestrations de tous leurs biens…
     Une instruction judiciaire est ouverte et 125 prévenus sont renvoyés devant la cour d’assises sur la base d’infractions de droit commun. Le procès initialement prévu devant le tribunal criminel d’Alger, aura lieu finalement à Montpellier, à la grande rage des colons. Après une détention d’un an et demi et 19 décès parmi les prévenus, le procès s’ouvre finalement le 15 Décembre 1902.
     Malgré le réquisitoire raciste du procureur qui demandait « 10 têtes » de « fanatiques », il n’y aura pas de peine de mort, les jurés ayant suivi la défense de Me L’Admiral, un métis, avocat de Yacoub, qui présentera avec brio, l’affaire comme une affaire politique, et non comme une affaire de droit commun; or pour les infractions politiques, la peine de mort avait été abolie par le droit français.
     Le 8 Février 1903, tombe le Verdict : 11 condamnations aux travaux forcés de 3ème catégorie, les plus inhumaines, dont 4 à perpétuité, des peines de prison de 5 à 20 ans et 81 acquittements. Yacoub et Taalbi meurent une année après leur arrivée à Cayenne, aucun des autres condamnés ne survivra. Ceux qui ont été acquittés n’ont jamais pu revenir chez eux. Il sera fait application contre eux du code de l’indigénat, qui permettait « l’éloignement » des individus jugés « dangereux », fussent-ils innocentés par une cour d’assise. Le procès avait, entre temps, eu un très large écho dans la presse française et Yacoub avait même été présenté comme un « nouvel » Abdelkader.

    Les insurgés prisonniers

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    L'Affaire dans la presse de l'époque
    Dimanche 19 Mai 1901 « Le Petit Parisien »
     La Sous le titre : « Le courageux dévouement d’une institutrice »

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     Il quelques jours, une nouvelle parvenue en France y provoquait une légitime émotion. On ne parlait de rien moins que d'une révolte en Algérie. Les choses furent, heureusement, assez vite, mises au point, et voici ce qui fut définitivement reconnu exact : Aux environs de Miliana et près du village de Margueritte vit la tribu des Beni-ben-Asser, turbulente et toujours prête au désordre. Elle se plaignait, parait-il, des agissements de certains propriétaires qui exploitent les forêts voisines. Peut-être n'était-ce qu'un prétexte, car les excitations des marabouts ont été constatées. Quoi qu'il en soit 300 Beni-ben- Asser se précipitèrent à l'improviste sur le village de Margueritte, massacrant, saccageant, pillant, emmenant prisonnier l'adjoint. Les troupes campées aux environs accoururent et l'émeute fût aussitôt paralysée; une répression sévère se poursuit, elle est nécessaire, il faut donner un exemple à ceux qui seraient tentés d'imiter les Beni-ben-Asser. Il est très important aussi, de rassurer les colons et les indigènes vivant sous notre domination. Cette échauffourée de Margueritte a été marquée par plusieurs actes d'héroïsme, en voici un, et non des moins remarquables : Mlle Goublet, institutrice, était occupée à faire sa classe, lorsqu'une clameur sauvage retentit. Les révoltés accouraient, menaçants, vers l'école. La noble femme s'élança au seuil de l'école, face aux assaillants et leur cria : - Tuez-moi si vous voulez, mais ne touchez pas à ces pauvres enfants. Son audace, sa fermeté en imposèrent aux bandits qui se retirèrent sans avoir fait aucun mal ni à elle ni aux enfants pour qui, si héroïquement, elle avait offert sa vie. Mlle Goublet a été félicitée par le gouverneur général; elle recevra sûrement une récompense ; mais nous lui devons, tous, notre admiration, ainsi qu'à cette merveilleuse phalange des instituteurs et institutrices de France, si laborieuse, si dévouée, si patriote, si courageuse enfin, comme on vient de le voir, quand la situation le commande.


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