• c'était hier

     

    Notre enfance revisitée....

    par notre ami M.Seddik Lamara

    L’âtre de mon enfance

     Combien était exquise la douceur se dégageant de l'âtre, quand, accroupies à l'aube autour du foyer serein et lumineux, nos mamans s'affairaient à déposer sur le tadjin grésillant ces galettes enduites de beurre qui seront gloutonnement avalées par nous enfants affamés avant de nous rendre à la mahdara pour affronter les "foudres" du taleb devant lequel nous devions réciter par cœur les versets tracés la veille sur les tablettes de bois.
    Chaque famille d'apprenant devait, à tour de rôle, offrir tous les matins, un petit déjeuner assez copieux pour le cheikh. Généralement, une galette au beurre, des dattes sèches et un broc en métal émaillé débordant de café parfumé au "jertil" (une plante aromatique poussant sur les collines enserrant la vallée de Bousaada) ou au poivre noir. Quand venait mon tour de présenter à notre maître coranique, juste après la prière de l'aube, un plantureux plateau garni d'un broc de lait, d'un autre de café et suprême délice d'épais losanges de galettes au beurre fourrées de "ghars" (dattes écrasées) au goût rehaussé d'une secrète mixture de clous de girofle et de pelures de grenades finement pillés, c'est l'occasion pour moi de fanfaronner et de frimer devant mes camardes. En me voyant pénétrer dans la salle recouverte de tapis d'alfa, le cheikh ne peut s'empêcher d'écarquiller les yeux face à cette corne d'abondance matinale. Avec les mêmes gestes mesurés, il rabat avec grâce sur ses épaules les pans de ses deux burnous, l'un en laine l'autre en "oubar" (poil de chameau), esquisse un large sourire dessiné par une bouche lippue bordée de dents à la blancheur immaculée avant de se précipiter vers moi pour me débarrasser de cet alléchant présent minutieusement préparé par ma mère. Et de me lancer avec un air taquin: "alors sdidek, c'est le jour de la zerda, tu diras à ta maman qu'elle aura aujourd'hui droit à mes nobles prières;" Notre maître prend toujours le soin de s'isoler dans la "maqssoura" afin de déguster ce régal loin des yeux des petits apprenants dont les narines à l'odorat aiguisé, avaient aussitôt reniflé les irrésistibles senteurs dégagées par les douceurs au dattes mêlées à la capiteuse fragrance émanant de la cafetière encore fumante. En voyant leurs mines désolées par la déception de ne pas avoir eu droit à cette agape, un indicible sentiment de culpabilité m'envahit. La plupart d'entre eux étaient issus de familles extrêmement démunies qui arrivaient à peine à leur assurer le pain quotidien rarement accompagné d'un maigre ragout ou d'un petit lait souvent aigre. Notre famille, loin d'être aisée, avait la chance de disposer d'une vache et d'un non négligeable garde manger ravitaillé par les moissons de nos minuscules parcelles céréalières et les dattes que nous envoyaient depuis les zibans nos grands parents maternels.

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    Le coeur perçoit ce quel'oeil ne voit pas

     

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