• Bataille d'Alger, débuts

    Yacef Saadi raconte la bataille d’Alger :                                                                                     « Ma rencontre avec Bitat Rabah »

    Depuis le démantèlement de l’Organisation secrète (O.S), le groupe des Six, qui mirent le feu aux poudres le 1er Novembre 1954, se rencontrait assez souvent chez Khechida Aissa dans son local situé rue Barberousse à la Casbah d’Alger. La plupart d’entre eux étaient recherchés par la police française.

     Par ailleurs Khechida Aissa avait à ses côtés son neveu, un jeune adolescent du nom d’Abdellah, natif d’Arris dans le grand massif des Aurès, à qui il apprenait le métier de tailleur. 

    Une semaine après le déclenchement, Abdallah, accompagné de Hamzaoui Mouloud un ancien de l’O.S vint me voir à notre boulangerie familiale. En se glissant entre les clients Abdallah me dit, à voix basse, que quelqu’un voudrait me voir. Il cherche un refuge. J’acquiesçai immédiatement de la tête. 

    Le lendemain après-midi, deux hommes se présentèrent à la boulangerie ; Hamzaoui et l’autre qui m’était inconnu. Ce devait être le fugitif me dis-je ? Il se présenta sous le nom de Si Mohamed. Mais derrière un prénom aussi répandu, la véritable identité était pratiquement impossible à déceler. 

    Connaissant Hamzaoui, j’avais confiance mais le mutisme de l’inconnu m’intriguait. Il était longiligne, misérablement vêtu et visiblement mal nourri. Hamzaoui fit les présentations et repartit. Moins d’une heure après, je l’installais confortablement chez moi, au 3 rue Abderames. Dans l’ambiance familiale, Bitat, alias Si Mohamed, se détendait. « Bien ! Lui dis-je, je crois qu’il est temps de m’expliquer ce qui se passe ». Et c’est ainsi qu’il se mit à narrer ses pérégrinations à travers la Mitidja et l’Atlas blidéen. éMais au fait, pourquoi la Mitidja ? ». « C’est parce-que lors de la répartition des tâches, des hangements de dernière minute sont intervenus ». 

    Didouche Mourad qui était tout indiqué pour commander la future Wilaya 4 préféra se faire affecter dans le Nord constantinois. Il y eut permutation. Et c’est ainsi que je me suis retrouvé dans l’Algérois. Tout devenait clair, le silence de Didouche Mourad s’expliquait parfaitement. 

    Dans la nuit du 31 octobre Bitat et Bouchaïb Ahmed eurent pour mission d’attaquer la caserne Blondon à Blida, avec l’espoir, l’effet de surprise aidant, de récupérer des armes. Mais ce soir-là, Khoudi Saïd , le sous-officier complice, qui devait assurer la permanence de garde n’était pas de service. L’attaque tourna au désastre et l’alerte fut donnée immédiatement. 

    De son côté, Ouamrane, assisté de Souidani Boudjemâa conduisait ses hommes, à l’assaut de la caserne de Boufarik. Après leurs raids respectifs, le groupe de Bitat et celui de Ouamrane devaient faire jonction à proximité de la station hivernale de Chréa pour faire le bilan. 

    Le repli s’est déroulé conformément au plan établi sauf que l’imprévisible était là. Bitat et ses hommes accrochèrent en route une compagnie de fantassins. Il y eut des blessés de chaque côté. Dès lors, il ne restait plus aux rescapés qu’à se disperser. Dans la confusion, Ouamrane et une quinzaine d’hommes reprirent le chemin de la Kabylie. 

    Quant à Bitat, après des détours, il réussissait à atteindre une maison aux environs de Champlain et se rendit à Alger. « Voilà toute l’histoire », conclut-il. 

    Sans rien laisser dans l’ombre, je lui fis, à mon tour, un compte rendu sur la station d’Alger, depuis le 12 octobre.Accessoirement, je lui signalais l’existence d’un groupe passablement armé prêt à rentrer en action. Puis, du fond d’une caissette je pris sept cent mille francs en gros billets de l’époque, toutes mes économies, pour les déposer sur une table basse. Cet argent pourra nous être très utile.  

    Les contacts 

     Voici comment fut rétabli le contact avec les membres des six. En effet la situation nécessitait le rétablissement de toutes les liaisons. Autrement dit, reprendre intégralement en main et réunir les conditions favorables à la réunion que le comité des six avait fixée courant janvier 1955 à Alger. De cette rencontre devait logiquement naître une stratégie adaptée à une lutte à long terme.

     À l’intersection de ces réflexions Souidani Boudjemaa détenait des renseignements concernant les lieux où on pouvait se trouver avec Larbi Ben M’hidi et Didouche Mourad. Il connaissait plusieurs boîtes aux lettres en Kabylie. Rabah Bitat n’avait sur lui que l’adresse de l’agent de liaison de Souidani Boudjemaa, du nom de Rabah Abdelkader qui jouera plus tard un rôle décisif dans le développement des maquis de la Mitidja. C’est grâce à ce dernier que j’ai pu rencontrer, une première fois seul Souidani et la seconde fois en compagnie de Bitat. 

    Une tentative en direction de la Kabylie par deux jeunes recrus Mustapha dit Amalphi et l’autre Bechkirou se solda par un demi-échec. Leur mission se termina à Mirabeau, un village situé à une dizaine de kilomètres de Tizi-Ouzou. Je confiai cependant un message à un intermédiaire en insistant sur l’importance de ma démarche. 

    En Oranie, j’avais chargé une recrue de mon groupe de réserve, Aidoune Amar, de retrouver la trace de El-Hakim « Ben M’hidi » aux confins (algéro-marocain). Son voyage se déroula sans difficultés. Mais c’est lorsqu’il dévoila la nature de sa démarche que sa présence dans la région prit une tournure suspecte. 

    Découragé, il fit demi-tour sans avoir compris ce qu’il lui arrivait. Deux échecs successifs ce n’était vraiment pas de chance. 

    Deux jours plus tard je refis le chemin inverse. À Maghnia, je pris contact avec Si Morsli, un quincailler de la ville, un homme qui sous une rassurante bonhomie donnait l’impression d’être très renseigné sur nos « affaires ». 

    Réconforté par la spontanéité de sa collaboration, je pris le lendemain le chemin de l’escalade, à travers les massifs montagneux en direction du Sud-Est pour atteindre en deux jours de marche, un point de chute distant d’environ quarante kilomètres. 

    À l’orée d’un bois, j’étais mis en présence de maquisards. Pour dégivrer l’atmosphère, je fus réduit à réciter tout ce que je savais sur le déclenchement, en invoquant des évènements et des noms de responsables. L’échec de Aidoune était encore vivace. Mais j’étais décidé à m’accrocher pour mener ma mission à son terme. 

    Vers minuit, l’un des maquisards me recommanda d’attendre dans le hameau. Tôt le matin du troisième jour, il réapparut en compagnie de Ben M’hidi qui me tendit une canne sur laquelle il s’appuyait, en m’indiquant qu’elle avait été creusée, au niveau du pommeau, d’un trou dans lequel il avait fiché un message à l’attention de Bitat. Je l’en remerciai et rebroussai chemins. 

    Fin février, je transmis à Bitat un message de Ben Moukhadem, un ancien de l’O.S (nouvellement recruté) lui signalant la présence d’Ouamrane qui venait assez souvent chez un ancien élément du P.P.A (Parti du peuple algérien) du nom de si Ouakli, un serrurier de la Casbah. Bitat se rendit à l’endroit indiqué pour surprendre l’adjoint de Krim Belkacem. Le lendemain, Ouamrane se rendit auprès de Krim pour lui relater ses retrouvailles. 

    Le jeu de cache-cache prit fin. Le lendemain Ouamrane se rendit chez Krim pour lui relater ses trouvailles. Ainsi fut rétabli le contact avec la zone 111 ; il ne nous restait plus qu’à aller chez le responsable kabyle au chemin Vauban près d’Hussein-Dey dans une épicerie qui leur servait fréquemment, à lui et à son adjoint, de point de ralliement. Dès lors notre maison, au 3 rue Abderames à la Casbah se transforma en .P.C, rayonnant sur la moitié des zones de combats. Mon départ pour Constantine (Condé Smendou) pour contacter Didouche Mourad fut annulé, on venait d’apprendre la mort glorieuse de ce membre des six. Quant à Mostapha Ben Boulaid, je n’ai pu le voir dans les Aurès, il venait d’être arrêté par la D.S.T. 

     

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