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Par gadames le 23 Février 2018 à 15:04
L'Aurésienne et le Centurion : La vierge de Tifelfel
Aurès, l’an 115
C’était du temps des conquérants romains. Etait-ce à l’époque de l’empereur Trajan ? Qu’importe. De ces légionnaires qui passaient par ce pays des Chaouias construisant Thamugadi, Théveste et Mascula, un bel homme, fier dans son allure à la robe pourpre et casque brillant, arborant armes et armures, avait mis pied un jour à Tifelfel, établissant un fortin à l’entrée du défilé, afin de surveiller son passage et les villages qui, plus bas dans la vallée verdoyante, se chevauchaient presque … Mchounech, Tamrit, El-Arrich, Banian, Tighanamine.
Il faisait doux et bon ce matin-là. Un printemps déjà précoce titillait la nature et sur les chemins tortueux, la destinée d’une jeune fille se dessinait. La vieille l’avait prévenue : « Sur ton chemin aujourd’hui, Ô ! Belle d’entre les Belles tu enchaîneras ta vie.» Un rire cristallin répondit à la prédiction. Parée d’amulettes et de talismans « Quatre fois la terre aura tournée… juste quatre fois et ton sang de vierge aura coulé » enchaîna la vieille. « Me prédit-elle un mariage ? » Pensa la belle. Debout, immobilisée par les yeux noirâtres de la prêtresse qui pointait son doigt charnu vers elle dans une attitude agressive, les autres filles arrivaient derrière, en file indienne, cruches sur les épaules « Allez, avance, avance » lui criaient-elles dans un chahut gai.
La petite troupe reprit sa marche dans un tintement de bracelets ciselés et d’anneaux argentés, cliquetant joyeusement autour des fines chevilles. Le sentier montait péniblement jusqu’au sommet. La source convoitée, le seul point d’eau où les filles venaient puiser l’essentiel de leurs besoins, coulait généreusement abreuvant assoiffés, passants, voyageurs et vagabonds. Pour se soulager de cette corvée toujours harassante, la jeune fille se mit à chanter. Sa voix mélodieuse s’éleva dans les airs, réveillant arbres et oiseaux, fleurs et abeilles, faisant frémir les vents et les nuages. Le chant s’éclata sur les rochers et sur les sentiers d’où arrivait le bel homme. Il descendit de son cheval et s’approcha de la fontaine.Ultime instant de rencontre. Les yeux se posèrent sur elle, sur ses courbes, détaillant sa taille fine enroulée dans une série de ceintures en laines tressées, accentuant la finesse et le galbe… Le regard s’attarda. Le sourire effleura les lèvres et une caresse interdite esquisse le geste. Des vagues tourmentèrent le soldat, pénétrèrent en lui en saccades le traversant de haut en bas. Dans ces lieux lointains, sur cette piste poussiéreuse, lui qui avait traversé mers et montagnes, auréolé de gloires et de batailles gagnées Il venait de rencontrer sa défaite
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Le centurion se mit à la courtiser, surveillant ses allées et venues, rêvassant devant la fontaine, de ses yeux noirs et brillants. Il lui envoya avec des porteurs, présents et fleurs. La belle se tenait à distance. Dans sa tête cheminaient de drôles d’idées. Elle savait qu’elle pouvait aider les siens en exploitant l’amour que lui offrait le Romain. « Il est puissant et riche. C’est un colonisateur qui a vaincu mon peuple en s’établissant sur la terre de mes ancêtres. Il est à mes pieds aujourd’hui, aux pieds des monts de ich Aziza » se disait-elle Blog de ghadames : ghadames, LA VIERGE DE TIFELFEL Filles des Aurès Elle renversa sa tête, jouant avec sa chevelure d’ébène, les tchoûchânat (grands anneaux en argent) qui pendaient à ses oreilles balançaient gaiement. Câline, ensorceleuse, elle colla presque ses lèvres sur les siennes, le laissant entrevoir une infinie parcelle de jouissance et de volupté « je suis à toi, beau centurion, mais avant, tu dois faire quelque chose pour moi. Veux-tu faire quelque chose pour moi ? » Le romain de la 6ème légion était prêt à vouer son âme au diable, pourvu que la belle puisse lui accorder ses faveurs. Son doigt fin traçait sur la poitrine de l’homme des cercles imaginaires « veux-tu apporter de l’eau à mon village ? » « Juste cela » se demanda le Romain. Bientôt la berbère lui appartiendrait. Mais la tâche allait être pénible, longue et épuisante. Sans attendre davantage, encouragé par les caresses et les regards de sa belle, il se mit à l’œuvre. Il traça des plans, calcula des chemins, dessina des détours et des courbes, s’initia au savoir des architectes et embaucha de la main d’oeuvres. « L’eau arrivera au village de Tifelfel et à mes lèvres aussi » se disait-il.
Jeunes filles des Aurès
Il s’abreuvera enfin et abreuvera cette soif intense qui embrasait sa gorge. Les saisons s’écoulèrent, les hivers s’en allaient remplacés par d’autres et les étés remplissaient la vallée de chants de grillons. Quatre années s’étaient écoulées. Quatre années d’un dur labeur, de patience, de rêves interdits, de murmures suggérant, de frôlements incitants. Par désir, par amour, le romain avait réussi à tracer un cour d’eau dans la roche, venant de la fontaine tout au sommet de la colline jusqu'au village.
Il réussit enfin son pari. L’eau arriva au village de Tifelfel. Cette nuit…Oh ! Cette nuit la lune sera en lui. Elle lui avait donné rendez-vous le premier jour de la fontaine. La belle, parée de tous ses atouts, robes en soie aux couleurs claires, chamarrées, la gorge opulente ornée de bijoux en argent, le front appesanti de plaques et de chaînes, les yeux noircis et les joues fardées, se tenait offerte dans ce clair de lune qui s’auréolait autour d’elle, l’emprisonnant dans une lueur argentée. Fébrilement, il s’approcha d’elle, posa ses lèvres fiévreuses sur les siennes. Il en rêvait de cet instant depuis des mois, depuis des siècles. Elle le laissa faire et ne dit mot. Ferma les yeux pour échapper à cette étreinte qui la faisait souffrir. Elle s’allongea sur la couche satinée du romain, lui, s’éloigna pour se débarrasser des ses armes. Quand sa tête se tourna vers elle, son regard s’assombrit, son geste se suspendit. Une auréole de sang fraîche nappait le parterre, s’infiltrait dans le sol devenu humide. Sur la couche, les yeux ouverts, la main encore sur la manche de la dague enfoncée dans sa poitrine, la belle dormait d’un sommeil éternel.
Commentaires
BELLOULA 19/06/09 13:02 J'aime beaucoup les illustrations qui accompagnent mes deux textes La belle de Tifelfel et le lit d'une reine, merci encore.
automathing: Toujours votre talent pour nous proposer des faits historiques qui nous semblent tellement contemporains... Non ,on ne peut prendre de force le coeur d'un(e) autre, c'est une clause de sauvegarde pour les âmes qu'elles soient faibles ou fortes
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Le coeur perçoit ce que l'oeil ne voit pas
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Par gadames le 20 Février 2018 à 16:41
Un sujet qui fâchera peut-être certains. La Yadjouz ?
La Fatwa,
L’ijtihâd (arabe : ijtihād, اِجْتِهاد, effort de réflexion) désigne l'effort de réflexion que les oulémas ou muftis et les juristes musulmans entreprennent pour interpréter les textes fondateurs de l'Islam et en déduire le droit musulman ou pour informer le musulman de la nature d'une action (licite, illicite, réprouvée dans divers domaines : économie, pratiques rituelles, voyage, travail, intérets bancaires, riba etc...).
Ne pourrait-on chez nous examiner une fetwa vers ceux de nos compatriotes qui se bousculent pour avoir une place au tirage au sort du hadj et leur dire : Votre pèlerinage est le même en soulageant la misère de votre voisin et le ventre creux des siens, donc donner la possibilité au futur Hadji d'avoir un choix...Il y a d'autres sujets qui devraient être soumis à l'Ijtihad comme les adoptions d'enfants, les enfants nés sous X, la part dans l'héritage de la fille - moitié de celle de son frère -, etc...
Que Dieu vous garde en bonne santé et vous assure votre pain quotidien.Amine
Ce n'est pas un fardeau, c'est mon frère !
Sur un sentier raide et pierreux j' ai rencontré une petite fille qui portait sur son dos son jeune frère. Mon enfant, lui ai-je dit, tu portes un lourd fardeau. Elle me regarde et dit: Ce n'est pas un fardeau, monsieur, c'est mon frère.
Je restais interdit. Le mot de cette enfant courageuse s'est gravé dans mon coeur. Et quand la peine des hommes m'accable et que tout le courage me quitte, le mot de l'enfant me rappelle:
"Ce n' est pas un fardeau que tu portes, c'est ton frère... "Misère dans la misère
"J'ai remarqué la misère de cet homme sur un marché.
Je me suis alors approché de lui, mais il n'a pas réagi
en fait, il était aveugle"La neige fait la joie des enfants, dit-on, mais pas de tous les enfants
et peut-être que ces derniers n'ont même pas quelque chose
sur le feu pour réchauffer leurs maigres corps...Ne détournons pas le regard....
Ne soyons pas insensibles...ç'aurait pu être nous.
Nous les côtoyons journellement.
Même une petite pièce leur est d'un grand secoursLe cœur de l'homme
est comme la mer,
il a ses tempêtes,
il a ses marées
et dans ses profondeurs...
il a aussi ses perles.Vincent Van Gogh
Certains oublient que notre finalité est cette demeure éternelle
et que nous y retrouverons les fruits de nos bienfaits passésIci, cimetière de Sidi Yanès à Laghouat
où reposent nos devanciers lahoum ErrahmaLe coeur perçoit ce que l'oeil ne voit pas
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Par gadames le 20 Février 2018 à 10:34
Miliana devenue miliana
Et dire que de Miliana dépendaient administrativement toutes ces villes et qu'actuellement elle-même dépend de l'une d'elles, Duperré devenue Aïn Défla
Et que même un paquebeau portait son nom
Miliana paquebot de la cie navigation mixte (Cie TOUACHE) en 1926
Louis Arnaud, agent maritime à Marseille, et les frères Touache, des banquiers lyonnais, fondent en décembre 1850 la Société Louis Arnaud, Touache Frères et compagnie, société en commandite dans le de « contribuer au développement des relations entre la Métropole et la Colonie, de les rapprocher... l'une et l'autre en réduisant autant que possible la durée des traversées ».Et des Ministres ouvraient la Fête des Cerises de Miliana,
l'une des plus renommées du pays. Ici, Mr Taibi Larbi,
Ministre de l'Agriculture et de la Révovolution AgraireLa commune de Miliana était vaste
puisque faisaient partie de son territoire
Ben Allal (ex-Levacher) et Aïn Torqui (ex Margueritte).
Au dernier découpage administratif en furent retirées
Ben Allal et Aïn Torqui pour devenir des communes
de plein exercice et Miliana hérita de la plus petite superficie
Et ainsi Miliana devint miliana dans l'attente de ce que réserve l'avenir...
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Par gadames le 11 Février 2018 à 00:29
A la mémoire de deux dames, lahoum Errahma,
que j'ai connues à Laghouat et Miliana.D'un ami : Qui n'a pas connu à Laghouat nos chers m'barka el mahboula, banssay et sa fameuse poupée "malika", hamad aïni, ou encore Hamid Lehchaichi, simples d'esprit, evoluant dans un monde à eux, dont seul Dieu avait la clé, mais tout laghouati les aimait, protégeait, c'étaient nos fous a nous, reflet de la vie dont personne ne peut se prétendre à l'abri. Je me souviens, ma mère "attrapait" m'barka régulièrement pour lui couper les cheveux, lui donner un bain et des vètements plus décents (les siens finissaient toujours en lambeaux). A la fin de chaque séance, m'barka repartait en délivrant un chapelet d'injures à ma mère pour avoir osé toucher a ses cheveux: "pouilleuse, jalouse !" criait-elle
GENS DE LAGHOUAT, M’barqa n’est plus !
Le tout Laghouat était au cimetiere de Sidi Yanès !
Condensé d'un article de notre ami N.COTTEM’barqa n’est plus !
Le tout Laghouat était au cimetiere de Sidi Yanès !
Condensé d'un article de N.COTTEM’barqa n’est plus !
En ce vendredi 26 mars, M’barqa a rejoint ses ancêtres.
Vous ne la reverrez plus.
Mais qui se souvient de M’barqa bent Rokaya El Hadhga quand elle était pleine de vie ?
Qui se souvient que d’entre les femmes de Laghouat, elle était citée en premier parmi les dames tisseuses de burnous, de cachabia, de tapis ?
On dit qu’elle perdit l’esprit lorsque le mari qu’on lui disait perdu dans la jungle indochinoise, lui apparut vivant et bien portant…Elle était derrière son métier à tisser.
Il n’ y eut plus, pour qui tisser, dès lors.
Du coup, l’esprit s’est envolé, la dame faiseuse de tapis, devint M’barqa la folle.
Je t’ai vu, ô El Hadj Tahar, persuadant la vieille dame de se déplacer du soleil torride du plein été à l’ombre des maisons de l’Oaïl. Je t’ai vu nourrir de tes mains une banane ou une orange ou un yaourt qu’un passant a laissé pour la dame. Je t’ai vu entourer de soins la vieille Khalti M’barqa, ces jours de froid, l’hiver, puisse–tu servir d’exemple à tous ces enfants qui jouent sur la placette.
Errahma laha...Décès de Melle Malika Baba Khelil,, laha Erahma
benyoucef | 18/12/2013 :
Décès de Melle Malika Baba Khelil, ex: enseignante de français, enterrée en début de semaine à Sidi Sbaâ. Malade, elle a subi mille et un calvaires avant de rallier les Cieux dans l'indifférence.
Malika Baba Khellil Allah Yarhamha était ma voisine.Elle habitait avec sa famille dans une somptueuse demeure de style mauresque.Elle faisait partie en quelque sorte de ce joli décor architectural,vu sa beauté,sa finesse et sa bonté..Chaque matin, dans sa silhouette élancée,elle sortait de chez elle dans une allure sobre et mesurée .En me croisant,elle me saluait d'une voix douce et d'un regard respectueux.Elle menait une vie aisément normale, la tête pleine de projets comme toutes les filles de son époque. Étant une ancienne Abdounaite puis enseignante de français,elle a formé de nombreuses générations.
Malheureusement le cruel destin lui a tourné le dos, quand elle a sombré tout d'un coup dans la maladie. Depuis, abandonnée par ses siens, elle a enduré de longues et dures années de souffrance et de solitude. La société impitoyable l'avait indignement rejetée .
Malika Baba Khellil, la belle fille au charme angélique, est morte dans l'oubli, la misère et l'indifférence. Allah Yarhamha
Affectueusement
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Par gadames le 9 Février 2018 à 17:33
Abdelkader Hadj-Hamou, né en 1891 à Miliana, fils du juge honoraire de la ville.Professeur d'arabe, titulaire de la chaire de la Grande Mosquée pendant près de 20 ans, mouderrès a Saint Eugène. Diplômé d'interprétariat judiciaire (tribunaux de 1ère classe). Mort en 1953
Le petit train de Miliana
Les deux compagnons montèrent dans la jardinière du tramway à vapeur, attendant le départ qui tardait à cause des bagages. Ce petit train ne comprenait guère plus de trois wagons de voyageurs, un de marchandises et une locomotive sans tender ; lui aussi avait sa petite gare, une petite salle garnie d'une grande table, de deux chaises et d'un appareil téléphonique ; c'était là qu'on échangeait son bulletin de bagages ; comme chef de gare, le receveur du tramway suffisait ; celui-ci portait une chéchia et n'était payé qu'un peu plus de cent francs par mois.
- En voiture, cria-t-il enfin.
Après quoi il fit résonner son sifflet et le mécanicien, un Arabe, par économie, le visage noir de charbon alluma une cigarette, fit démarrer le tramway et lança un flot de fumée sur les voyageurs. Le tramway sifflait, grinçait sur les rails, tournait, sous la pluie fine fournie par la vapeur qui s'échappait de la puissante mais petite locomotive. Le train s'arrêta, c'étaient les Righa : deux Arabes descendirent puis une femme de colon.
Dépêchez-vous ordonna le receveur, en même temps chef de train et de la station. Le train repartit à une allure de vingt kilomètres à l'heure... Quelques minutes après, le tramway s'arrête de nouveau ; c'était l'Oued Azif, un croisement : on devait trouver là un train de minerai avec ses grands wagons à forme de profondes cuvettes .Là c'était des vignobles et là commençaient les immenses et beaux jardins de Miliana.
Le voilà, là-bas, le train de minerai s'écrièrent avec joie deux demoiselles,
élèves de l'Ecole Normale de Miliana.-----------------------------------------------------------------------------------------------------------------
Aucune algérienne dans les premières promos.Ici Promo 1909/1911 avec les coiffures d'alors
L’École Normale du département d’Alger avait été construite à Miliana, choisi pour son site et son climat. Vers la fin du XIX° siècle, à sa construction, les bâtiments correspondaient alors au mieux aux critères d’hygiène, de confort, de bonne marche, des études et d’agrément
Par exemple, aux deux grands dortoirs insuffisamment chauffés l’hiver, mal commodes, nous aurions préféré des chambres individuelles où chacune aurait pu ranger ses affaires et travailler à son rythme, alors qu’on se gênait dans les études communes. Les installations sanitaires dataient. Au 2ème étage, les lavabos. En face, de petites logettes où il fallait porter sa cuvette pour compléter sa toilette. Penderies et armoires d’un autre côté, et une petite pièce pour les casiers à chaussures.
Il fallait descendre au sous-sol pour le bain –ou la douche- hebdomadaire. C’est là que de solides laveuses espagnoles lavaient nos draps dans de grands bassins et où nous pouvions aussi laver notre lingerie.
L’économe, Melle D., plus âgée que la directrice et forte de ses prérogatives (il fallait tourner le matelas tous les jours, donc ne pas « baptiser » son lit. Le matin les élèves, par équipes, balayaient les escaliers, les galeries. C’était « les charges ». L’économe choisissait souvent le moment des repas, où les trois promotions étaient rassemblées, pour brandir des lingeries qui traînaient. « A qui appartient ceci ? et ceci ? ». Trotte-menu, on la trouvait partout. Je n’arrivais pas à croiser son regard, qu’elle avait bigle, mais qui était infaillible pour repérer ce qui pouvait être critiqué dans la mise, la coiffure ou la façon de répliquer…-------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------
Le train parut en effet, dans un tournant ; la locomotive, Jeanne, traînait six grands wagons en fer, en forme de longs entonnoirs, remplis de minerai ; chaque wagon était monté par un serre-frein dont les mains, le visage et les vêtements étaient tout rouges ; quelques-uns portaient une corne jaune, c'étaient tous des indigènes ; le métier est périlleux.
Le tramway s'arrêta une troisième fois ; c'était le Petit Drapeau ; une buvette au milieu des Jardins et vignobles portait ce joli nom. Le paysage avait complètement changé. Ce n'était plus que vergers, maisons de campagne, villas, fleurs et ombrages sur les deux côtés de la route, remplaçant les bois, les broussailles, les forêts, les champs de blé ou les vignobles qu'on voyait jusque là.
C'étaient les ravins se succédant, remplis d'arbres, d'arbustes, de fleurs forestières, de gazouillis ; ce n'étaient plus ensuite que des ravins cultivés, couverts d'arbres fruitiers, de jasmins, de fleurs diverses, de sources, de ruisseaux ; le chant des oiseaux, le murmure des eaux, l'air frais et parfumé étaient admirables. Il faisait pourtant une chaleur infernale là-bas, à la gare de Miliana-Marguerite.
Le départ du petit train de Miliana
Le train de voyageurs n'était pas encore parti quand Meliani sortit de la ville ; il avait déjà deux minutes de retard à cause des bagages et les employés n'étant pas toujours pressés, sachant qu'on arrivait toujours en avance.Un train ?...un tramway à vapeur, plutôt !
Ses trois wagons, dont deux jardinières étaient remplis d'arabes, surtout d'européens et d'Israélites éparpillés ça et là ; tout ce monde remuait, descendait, remontait, redescendait, appelait un fils, un époux, un ami pour les dernières recommandations, les dernières confidences. Quelques retardataires arrivèrent en courant, tout essoufflés un panier ou une valise à la main, un sac ou une caisse sur l'épaule.
En voiture, s'il vous plaît !
Le receveur en fil blanc, coiffé d'un képi portant les lettres : T. M. (Tramway-Miliana) se décida à siffler, l'écho se fit entendre de la machine Château Romain qui démarra non chef de gare, un homme d'une trentaine d'années, à la barbe noire, vêtu d'un costume simple sans une forte secousse qui fit rire et jurer. Un pauvre Kabyle arriva haletant, suant à grosses gouttes, un gros ballot sur le dos ; il réussit néanmoins à rattraper le train et à y monter. Un gros Israélite qui parlait du nez et un indigène vêtu à l'européenne et sans instruction, ainsi qu'un européen à lorgnon mais sans esprit rirent avec éclats du pauvre Kabyle ; à ce moment deux amis : Paul et Kaddour, révoltés de cette basse moquerie envers un homme inoffensif, rentrèrent en ville. Le Jardin Magenta, si beau et si grand près duquel stoppait le train était encore désert.
Sur la large, blanche et belle route qui mène aux Mines, la route d'Alger, Meliani salua tous ceux qu'il connaissait : les uns rentraient en ville pour y faire leurs emplettes ou travailler, d'autres en sortaient pour aller soit aux Mines soit dans les jardins qui entourent Miliana par centaines ; les ouvriers horticoles étaient employés à la journée à la cueillette des fruits.
D'après le Roman : « ZOHRA, LA FEMME DU MINEUR » de Hadj Hamou Abdelkader - (1925).
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